lundi 19 mai 2014

René Huighe "Dialogue avec le visible" extrait


REFUGES DE LA VIE SENSIBLE - De la sensibilité, qu'advient-il alors ? Elle ne trouve plus son langage qu'en dehors des activités pratiques de la société, dans la poésie et dans l'art, et ce langage sera non plus rationnel mais suggestif. Si chacun d'entre nous est incommunicable en proportion de sa richesse affective, il ne peut tourner cet obstacle que par la ruse d'une évocation. Quoi de surprenant ? Développerions nous sans frein cette résonance privée, qui nous fait particuliers, que les échanges deviendraient difficiles; tout serait confusion. A supposer même que les êtres puissent arriver à entrevoir  leurs états  intérieurs, comme cela arrive par la poésie et par l'art, il faudrait à leur intuition trop d'approches et d'effort ! Combien de temps pour imaginer autrui et le ressentir à son tour ! La vie sociale ne saurait s'accommoder de cette lenteur, non plus que de cette incertitude, de cette inévitable marche d'erreur.
Voila pourquoi les sociétés évoluées, semblables à l'adulte, ont été amenées à retirer de la circulation, la vie émotive; il à fallut lui substituer la raison, se restreindre aux sensations dépouillées de tout prolongement personnel et soumises aux règles universelles par quoi la logique les associe et les déduit. Tel est le statut social que l'occident, sous l'impulsion de la Grèce, à mis au point avec une élégance précise. Il a trouvé son couronnement deux mille cinq cent ans plus tard dans la civilisation scientifique du XIXème siècle, expérimentale et rationnelle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos commentaires sont à mon avis la partie la plus interressante de ce blog donc allez y, ne vous privez pas !